Suite à la lecture commune pour laquelle j'ai lu la pièce de théâtre :Claudie de George Sand
je me suis rendue compte que je connaissais mal ses pièces de théâtre
(et que je n'étais pas la seule) et comme je voulais mettre à l'honneur
les auteurEs de théâtre pour le challenge théâtre...
je poursuis ma découverte avec Cosima ( que j'avais évoquée au sujet de
la comédienne Marie Dorval, mais pas lue!) pièce représentée pour la première fois à la comédie française le 29 avril
1840L'occasion pour moi de reprendre mes recherches autour de la comédienne Marie Dorval (mes articles sont ici) en lisant une pièce de théâtre écrite par George Sand et jouée par son amie Marie Dorval.
Marie Dorval et George Sand
Toutes les deux s'étaient rencontrées en 1833, après une lettre admirative sur l’une de ses représentations, envoyée par George Sand à Marie Dorval, comme le raconte l'auteure dans ses mémoires :
"J'avais
publié seulement Indiana je crois, quand, poussée
vers madame Dorval par une sympathie profonde , je lui
écrivis pour lui demander de me recevoir. Je n'étais nullement célèbre ,
et je ne sais même si elle avait entendu
parler de mon livre. [...]Elle était mieux que jolie, elle était charmante; et
cependant elle était jolie, mais si charmante que
cela était inutile. Ce n'était pas une figure, c'était une physionomie,
une âme.[...]
Je demandai à madame Dorval comment ma lettre l'avait
convaincue et amenée si vite. Elle me dit que cette déclaration d'amitié
et de sympathie lui avait rappelé celle
qu'elle avait écrite à mademoiselle Mars après l'avoir vue
jouer pour la première fois : « J'étais si naïve et si sincère !
ajouta-t-elle. J'étais persuadée qu'on ne vaut et qu'on
ne devient quelque chose soi-même que par l'enthousiasme
que le talent des autres nous inspire. Je me suis souvenue,
en lisant votre lettre, qu'en écrivant la mienne je m'étais
sentie véritablement artiste pour la première fois, et que
mon enthousiasme était une révélation. Je me suis dit que
vous étiez ou seriez artiste aussi : et puis, je me suis rappelée encore
que mademoiselle Mars, au lieu de me comprendre et de m'appeler, avait
été froide et hautaine avec
moi ; je n'ai pas voulu faire comme mademoiselle Mars. » [...]
Elle gagnait tout au plus quinze mille francs en ne se
reposant jamais, et vivant de la manière la plus simple,
sachant faire sa demeure et ses habitudes, élégantes , sans
luxe, à force de goût et d'adresse ; mais grande, généreuse,
payant souvent des dettes qui n'étaient pas les siennes, ne
sachant pas repousser les parasites qui n'avaient de droit
chez elle que par la persistance de l'habitude, elle était
sans cesse aux expédients, et je lui ai vu vendre, pour
habiller ses filles ou pour sauver des amis, jusqu'aux
petits bijoux qu'elle aimait comme des souvenirs et qu'elle
baisait comme des reliques. "
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Marie Dorval |
Une profonde amitié unira ensuite les deux femmes, voir plusieurs extraits de lettres et un chapitre des mémoires de George Sand
ici
Quelques années plus tard (voir
ici) c'est donc Marie Dorval qui crée Cosima au Théâtre français le 29 avril 1840, après que l'auteur ait bataillé ferme pour imposer l'actrice dans ce théâtre qui voyait d'un mauvais oeil la star des théâtres des boulevards...
Laissons à George Sand le soin d'évoquer l'accueil du public de la comédie française... houleux... mais ce qui ne surprend pas l'auteure «J'ai été huée et
sifflée comme je m'y attendais. Chaque mot approuvé et
aimé de toi et de mes amis a soulevé des éclats de rire et des tempêtes
d'indignation. On criait sur tous les bancs que la pièce était
immorale, et il n'est pas sûr que le gouvernement ne la défende pas. Les
acteurs, déconcertés par ce mauvais accueil, avaient perdu la boule et
jouaient tout de travers. Enfin, la pièce a été jusqu'au bout, très
attaquée et très défendue, très applaudie et très sifflée."
George
Sand retirera la pièce de la scène au bout de sept représentations
seulement.
Qu'en est-il donc de cette pièce jugée alors immorale?
COSIMA ou la haine dans l'amour
Drame en cinq actes, représenté, pour la première fois, au Théâtre-Français, le 29 avril 1840.
Personnages
LE DUC DE FLORENCE
ALVISE PETRUCCIO, bourgeois et négociant de Florence
COSIMA, sa femme
NÉRI
ORDONIO ÉLISÉI, riche Vénitien
LE CHANOINE DE SAINTE-CROIX, oncle de Cosima
MALAVOLTI, voisin et ami d’Alvise
FARGANACCIO, voisin et ami d’Alvise
LE BARIGEL
TOSINO, page d’Ordonio Éliséi
PASCALINA, servante d’Alvise
GONELLE, serviteur d’Alvise
UN VALET D’ORDONIO
ESTAFIERS DU BARIGEL
À Florence.
Une pièce rééditée il y a peu au jardin d'essai, et présentée par Catherine Masson :
 |
Cosima George Sand |
Mon petit mot:
Je me suis plongée avec plaisir dans cette pièce (la fin m'a moins enthousiasmée, peut-être trop de personnages secondaires) , l'héroïne en proie à ses sentiments contradictoires, un mariage qui ne la rend pas heureuse, un éventuel amant que sa raison repousse...
Car si Cosima est malheureuse en mariage, elle fait tout de même passer avant tout l'honneur de son mari... jusqu'à son suicide tragique, face à l'impossibilité d'allier mariage et épanouissement.
Toute la première partie (l'annonce de la mort d'Ordonio, sa réapparition...) tient en haleine, et puis il y a aussi Florence et la Toscane, un petit plus qui a renforcé mon avis positif sur cette pièce!
J'ai trouvé cette pièce intéressante pour le réflexion autour du statut de la femme mariée (il y a des monologues de Cosima qui font réfléchir, et qui sont sans doute ceux qui furent mal accueillis à l'époque), l'ennui terrible de cette oisiveté forcée, les rapports dans le couple, la femme sans autonomie, sous surveillance, le poids de la religion, l'incompréhension entre Cosima et son mari, la difficulté de rendre l'autre heureux... et pour le personnage du "séducteur" qui apparait non pas comme un séduisant aventurier mais comme un personnage plutôt détestable dans son rapport aux femmes tandis que le mari parait finalement plus sympathique.
Une pièce qui donne la parole à la femme vouée au silence du mariage et à l'effacement derrière l'époux... un message féministe avant l'heure qui explique sans doute l'accueil plus que froid fait à l'époque à cette pièce, que je vous invite vivement à redécouvrir!
Cosima dans la presse de 1840
Dans la presse de l'époque pour comprendre l'accueil négatif reçu par la pièce (merci Gallica!).. l'on préfère faire porter la responsabilité aux acteurs plutôt que d'ouvrir un éventuel débat sur les thèmes au coeur de la pièce...
Revue de Paris
A propos de la première
représentation de Cosima, par exemple, nous restons sincèrement persuadé
qu'une malveillance positive et réfléchie s'était glissée, dès avant le
lever du rideau, dans la salle. Comment expliquer autrement qu'une
oeuvre signée d'un si grand nom, laborieusement conçue et exécutée,
empreinte de cette grandeur qui caractérise toutes les productions de l'auteur de Jacques, ait été écoutée avec distraction, avec ironie, on
pourrait dire avec irrévérence, et que des rires inexplicables aient
retenti justement aux endroits où le talent de l'auteur se manifeste
dans" son plus prestigieux éclat?
D'où pouvait venir, demandera-t-on,
cette malveillance? C'est là une question que notes n'avons pas
mission d'approfondir. [...]
Les acteurs chargés de la traduction du drame de George
Sand n'ont pas tous également bien rempli leur tâche, nous en devons
convenir; peut-être même pourrait-on les rendre responsables de
quelques-unes des bruyantes interruptions essuyées par le drame de
George Sand. A l'exception du rôle de Cosima -, tous les rôles de
l'ouvrage ont été, si non mal saisis dans leur esprit, d'un bout à
l'autre, du moins faussés en certaines parties essentielles et compromis
par d'assez maladroites interprétations. Encore Mme Dorval ne mérite-t-elle pas des éloges sans réserve; car, si elle n'a pas trahi les intentions de l'auteur, peut-être n'a-t-elle pas toujours exprimé avec une égale puissance les souffrances d'une âme incertaine entre le devoir et la passion. Tout en conservant au
personnage de Cosima son véritable caractère, fier et tendre à la fois,
troublé d'abord, ferme ensuite et inébranlable dans sa douloureuse
résignation, peut-être n'a-t-elle pas toujours rendu les plus délicates
nuances de son rôle avec la poétique précision qui lui est habituelle.
Mais l'émotion visible qu'éprouvait Mme Dorval excuse suffisamment ces légères inégalités.
De
MM. Beauvallet, Geffroy, Joanny, nous n'avons pas, à beaucoup près, le
même bien à dire. M. Beauvallet, qui a, d'ailleurs, des qualités
incontestables, nous semble avoir pris son rôle à rebours. Ordonio est, sans contredit, un caractère où la brutalité domine, mais
une brutalité intérieure, pour ainsi dire, et qui doit soigneusement se
déguiser. La tendresse qu'il n'a pas, Ordonio, dans l'intérêt même de
ses projets, doit la feindre. Or, la nécessité de ce contraste entre le
but d'Ordonio et les moyens qu'il emploie pour y atteindre ne paraît pas
avoir été soupçonnée par M. Beauvallet. M. Beauvallet, s'exagérant à
tort, en ce cas, l'importance de la diction, s'est efforcé de ne pas
laisser perdre une syllabe de son rôle; quant au sens poétique du
personnage, il s'en est trop peu inquiété. M. Joanny, lui, s'est rendu
coupable du péché contraire. Préoccupé du caractère sacerdotal de son
rôle, il a fait du chanoine de Sainte-Croix une sorte de prédicateur
monotone et verbeux. Il a prononcé les moindres paroles confiées à ses
lèvres avec une emphase d'intonations et de gestes que la familiarité de
Faction ne comportait pas. La déclamation sentencieuse, acceptable dans
une chaire, était tout-à-fait hors de saison chez un bourgeois de
Florence; c'est ce que M. Joanny n'a pas suffisamment compris. Quant à
M. Geffroy, nous devons reconnaître qu'il a mis au service de son rôle
une bonne volonté réelle. Toutefois, nous pensons qu'il lui serait
possible, aux représentations suivantes, de modifier sa pantomime dans
ce qu'elle a d'un peu trop brusque, sa diction dans ce qu'elle a d'un
peu heurté.
Revue des Deux Mondes, tome 22, 1840
La première représentation de Cosima a eu lieu devant le
public le plus nombreux, le plus choisi et le plus divers, le plus
littéraire et le plus mondain qui se puisse imaginer. Il y avait une
attente immense ; il y avait autre chose que de l’attente encore,
c’est-à-dire bien des petites passions en jeu. [...]
L’idée de Cosima est très simple et très autorisée : c’est la
lutte de la passion et du devoir au sein d’un cœur pur qui va cesser de
l’être ; c’est l’antique et éternel sujet du drame depuis Phèdre
jusqu’à nous. Cosima est une jeune femme de Florence qui a un mari
bourgeois, marchand, mais excellent, délicat et noble de sentimens,
honnête et brave. Un étranger, un Vénitien passe ; il s’occupe d’elle ;
sans lui parler à peine, il l’entoure de ses soins comme de prestiges ;
elle n’a guère vu encore que sa plume au vent et son manteau, que déjà
elle l’aime, comme toute jeune femme, même la plus pudique, aimera, si
elle n’y prend garde, le jeune étranger.
Est-ce moral ? dira quelqu’un. Celui-là a oublié le cœur humain
depuis Hélène et Ariane jusqu’à la religieuse portugaise, jusqu’à
l’amante du Giaour ; celui-là n’a jamais voyagé jeune en des pays
lointains, et n’y a jamais cueilli sur une tige fragile son plus
délicieux souvenir.
[...]En général, il faut le dire, si l’on excepte Mme Dorval, qui est
toujours à excepter, et Geffroy, qui souvent a été bien, la pièce nous a
paru jouée d’une manière insuffisante, sans ensemble, sans célérité,
comme si les acteurs entraient peu dans leur rôle. C’est avec regret que
nous avons vu Beauvallet refuser au rôle d’Ordonio la noblesse et la grâce qui en font une partie essentielle, et en charger sans nécessité
l’odieux avec une brusquerie vulgaire, qui pouvait compromettre les mots
les plus simples.
C’est ainsi que je m’explique surtout comment bien des délicatesses
ont été peu senties et bien des finesses ont paru échapper. [...]Quelques inexpériences de mise en œuvre, inévitables à un début, ne
me paraissent pas expliquer suffisamment le peu de relief que la
première représentation a donné à des détails tels que ceux-là. La faute
en est en partie aux acteurs, je l’ai dit, et en partie au public, il
faut oser le lui dire. Une certaine fraction du public paraissait
s’attendre à un genre d’extraordinaire qui n’est pas venu ; [...]
Et puis certains caractères peut-être ne doivent pas être trop vrais,
trop réels. Ordonio, édition vénitienne de Raymond de Ramière, est un
égoïste, un fat un peu cru, comme sont les trois quarts des hommes de
cette espèce dans leurs relations avec les femmes sensibles. Il se
pourrait qu’au théâtre on ne supportât pas en face de telles vérités et qu’il fallût toujours une certaine dose de jeune premier
dans l’amoureux. Quelle est la dose précise de lieu-commun qui est
nécessaire, au théâtre, pour faire passer une nouveauté ? Voilà le point
important du métier. [...]
V. DE MARS
Cosima dans les archives de la comédie française :
la distribution de la création:
avec
Menjaud (le duc de Florence) ; Geffroy (Alvise Petruccio) ; Beauvallet
(Ordonio) ; Joanny (le chanoine) ; Joannis (Farganaccio) ; Varlet
(Malavolti) ; Maillart (Neri) ; Fonta (le podestat) ; Mathien (Gonella) ;
Alexandre (un domestique) ; Marie Dorval (Cosima) ; Mlle Avenel
(Tosina) ; Louise Thénard (Pascalina) ; Production Comédie-Française
maquette de costumes par E. Giraud

Une lecture qui entre également dans plusieurs challenges : théâtre, italie...


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