L'incendiaire Marie Dorval 1831

Je reprends ma série consacrée à Marie Dorval et complète sa biographie par quelques articles consacrés aux pièces de théâtre importantes pour sa carrière comme cet incendiaire en 1831.
Marie Dorval. La Dernière année de Marie Dorval, d'Alexandre Dumas 1855

Au théâtre de la porte saint-martin

1831 : L'Incendiaire ou le Curé et l'Archevêché, drame en 3 actes à grand spectacle de Benjamin Antier avec Alexis Decomberousse (24 mars) rôle de Louise.
Une pièce anticléricale où un archevêque réactionnaire persuade Louise, une jeune pénitente, d'incendier la ferme d'un riche cultivateur. Louise, reconnaissant son crime se jetait dans une rivière. Bocage jouait le rôle d'un curé proche du peuple et une scène de confession fut unanimement saluée par les critiques. 

Les avis dans la presse

"[...]Mme Dorval y accentuât avec une trivialité sublime une longue scène où agenouillée ou plutôt accroupie sur les talons elle dévoilait au digne ecclésiastique qui l'interrogeait les fascinations exercées sur elle et les remords de sa conscience" Entre Cour et Jardin

Coupy :  C 'est encore à propos de ce même rôle de Louise qu'un critique disait " Elle arrive, elle ne pense plus qu'elle est au théâtre, elle se jette à deux genoux devant le prêtre , elle étouffe,  elle crie,  elle parle,  elle sanglotte,  elle porte son corps en avant , en arrière,  elle se frappe le visage avec ses deux mains,  elle jette ses cheveux de côté et d'autre , elle se tord les bras,  elle est folle, elle est raisonnable, c'est une douleur de criminelle et de femme, puis elle se relève. Entre son amant;  elle va se placer debout contre une table , elle tire son mouchoir,  elle pleure,  elle essuie ses larmes et elle pleure encore ses yeux sont rouges et gonflés. On ne pousse pas plus loin la folie, la vérité, le silence et les sanglots de la douleur II n'est aucun rôle enfin, si médiocre soit-il , d'où elle ne fasse jaillir des éclairs sublimes.  Puis quelle flexibilité dans ce talent puissant !"

Le Figaro Mme Dorval soulevait de profondes émotions dans le personnage de la malheureuse fille;



Vigny qui n'a guère apprécié la pièce : L'Avenir : "Pourquoi faut-il qu'une grande actrice et qu'un habile comédien soient condamnés à rendre digne d'admiration, dans le détail, ce qui dans l'ensemble est si digne de mépris et nous condamnent à voir la pièce? Madame Dorval fait une sorte de miracle, car elle met des paroles plates et totalement insignifiantes sur un ton si pathétique, si passionné, si chaleureux, que l'on se figure avoir compris et que l'on pleure sur sa parole, on gémit à cause de sa pantomine, la scène de la confession en est un merveilleux exemple : l'auteur aurait écrit, au lieu du récit, l'histoire de childebert ou la complainte de Fualdès, ou des O et des A seulement, que c'eut été la même chose, on eût pleuré tout autant avec une telle actrice."  

Ce que lui écrit l'auteur de la pièce au lendemain de la première:

Madame, que vous avez été belle hier dans le rôle de Louise |...] Quel caractère fort, original, passionné, vous savez donner à vos créations! Que d'âme et de poésie dans votre accent! Il y a chez vous je ne sais quelle manière à la fois vraie et poétique de concevoir la nature et de la rendre, qui vous met hors de toute comparaison. Quel admirable talent, et combien, poètes et auteurs , nous sommes restés loin jusqu'à ce jour de ce qu'il attend et de ce qu'il vaut!

Marie Dorval et la Malibran

Marie Dorval répétait en même temps Antony d'Alexandre Dumas, Vigny assistait aux répétitions, et la rejoignait souvent dans sa loge après la représentation, mais un jour, il ne fut pas le seul à s'y trouver:
C'est à l'occasion de cette pièce qu'une rencontre entres les deux vedettes s'improvisa:

Maurice Allem,  :
" Vigny alla féliciter Marie Dorval pendant un entr'acte, et la tragédienne lui dit qu'elle se trouvait fort intriguée par la présence, depuis plusieurs soirées, dans la même loge, d'une dame vêtue de noir et voilée, qui ne cessait, sous son voile, de s'essuyer les yeux.
Vigny répondit qu'il connaissait très bien cette dame, qu'elle était une des ses bonnes amies, et il offrit à Mme Dorval de lui présenter l'inconnue à la fin du spectacle.
Dorval accepta ; après le spectacle, l'inconnue parut, en effet, accompagnée d'Alfred de Vigny, et, prenant les deux mains de la tragédienne, elle lui dit d'une voix pleine encore de larmes :
- Ah ! madame, que vous êtes belle et touchante dans cette pièce !
Mme Dorval touchée, par un tel éloge, pria l'inconnue de vouloir bien se nommer ; et celle-ci relevant doucement son voile, dit :
- Je suis la Malibran.
Ce seul nom émut davantage encore Mme Dorval ; elle avait justement dans sa loge le portrait de la Malibran chantant la Romance du Saule ; elle la lui montra et lui déclara qu'elle regardait cette image comme "la Madone de l'art".
Les deux actrices tombèrent alors dans les bras l'une de l'autre.

Dorval, Dumas et la Malibran

Dumas raconte également cette scène dans ces mémoires, à la suite de sa première rencontre avec Marie Dorval, qu'il romance pour l'occasion :
Dorval et La Malibran
 A une heure du matin, je traversais la place de l'Odéon, passant de la lumière de la salle à l'obscurité de la rue, du bruit des applaudissements d'une salle comble au silence d'un carrefour vide, de l'enivrement à la réflexion, de la réalité au rêve, lorsqu'une tête de femme sortit de la portière d'un fiacre en criant mon nom.
Je me retournai ; le fiacre s'arrêta ; j'ouvris la portière.
- C'est vous qui êtes M. Dumas ? me dit la personne qui était dans le fiacre.
- Oui, madame.
- Eh bien, montez ici, et embrassez-moi... Ah ! vous avez un fier talent, et vous faites un peu bien les femmes!
Je me mis à rire, et j'embrassai celle qui me parlait ainsi.
Celle qui me parlait ainsi, c'était Dorval ; Dorval, à qui j'aurais pu renvoyer ses propres paroles : « Vous avez un fier talent, et vous faites un peu bien les femmes ! »
C'est que, depuis le jour où nous lui avons vu jouer Malvina, du Vampire, Dorval, de son côté, avait énormément grandi.  C'était dans L'Incendiaire, surtout, qu'elle avait été magnifique.
Celui ou celle qui lit ces lignes ne sait probablement pas aujourd'hui ce que c'est que L'Incendiaire ; je ne me rappelle moi-même qu'un rôle de prêtre très bien joué , et une scène de confession où Dorval était sublime.
Figurez-vous une jeune fille à laquelle on a mis une torche à la main – comment ? Par quel moyen ? Je ne m'en souviens plus ; peu importe, d'ailleurs ! Il y a vingt-deux ou vingt-trois ans de cela : j'ai oublié le drame, et, je le répète, je ne vois plus que l'artiste. – Elle jouait à genoux cette scène de confession dont je parle et qui durait un quart d'heure ; pendant ce quart d'heure, on ne respirait pas, ou l'on ne respirait qu'en pleurant.
Un soir, madame Dorval fut plus belle, plus tendre, plus pathétique qu'elle n'avait jamais été.
Pourquoi cela ? [...] Eh bien, écoutez ceci : quand l'artiste est fatigué, qu'il a joué dix fois, vingt fois, cinquante fois de suite le même rôle, peu à peu l'inspiration s'éteint, le génie s'endort, l'émotion s'émousse ; le ciel de l'acteur devient gris, son atmosphère brumeuse ; il cherche ce rayon de soleil qui réveille la toile . Ce rayon de soleil, c'est un spectateur ami, un artiste de talent accoudé au balcon ; c'est quelque tête pensive dont les yeux brillent dans la pénombre d'une loge. Alors, la communication s'établit entre la salle et le théâtre, la commotion électrique se fait sentir, et, grâce à elle, l'acteur ou l'actrice remonte aux jours des premières représentations ; toutes ces cordes qui se sont endormies peu à peu se réveillent et, tout à coup, pleuvent, gémissent, se lamentent plus vibrantes que jamais ; le public bat des mains, crie bravo, croit que c'est pour lui que l'actrice fait ces prodiges.
Eh bien, un soir, Dorval avait été sublime – pour qui ? elle n'en savait rien – ; pour une femme qui l'avait tenue trois heures palpitante sous son regard d'aigle ; pendant trois heures, toute la salle avait disparu aux yeux de Dorval : c'était pour cette femme qu'elle avait pleuré, parlé, vécu, agi enfin ; et, quand cette femme avait applaudi, quand cette femme avait crié bravo, l'actrice avait été payée de sa peine, récompensée de sa fatigue, indemnisée de son génie !
Elle s'était dit : « Je suis contente, puisqu'elle l'est.» Puis la toile s'était abaissée, et haletante, brisée,mourante, comme la pythie qu'on enlève au trépied, Dorval était remontée à sa loge, et, de triomphatrice devenue victime, elle était tombée presque évanouie sur un sofa.
Tout à coup, la porte de sa loge s'ouvrit, et l'inconnue parut sur le seuil. Dorval tressaillit, s'élança, lui prit les deux mains comme à une amie.Les deux femmes se regardèrent un instant, souriant en silence, et des larmes dans les yeux.
- Excusez-moi, madame, fit enfin l'inconnue avec une voix d'une incroyable douceur ; mais je n'ai pas voulu rentrer chez moi sans vous dire la joie, l'émotion, le bonheur que je vous dois. Oh ! c'est admirable, voyez vous, c'est merveilleux, c'est sublime !
Dorval la regardait, la remerciait des yeux, de la tête, et surtout de ce mouvement d'épaules qui n'appartenait qu'à elle, et, cela, tout en interrogeant sa physionomie, tout en demandant à chaque muscle de son visage : «Mais qui donc êtes-vous, madame ? Qui êtes-vous ? »
L'inconnue devina sa pensée, et, avec cette voix dont la suavité ne peut être comprise que de ceux-là seuls qui ont connu cette merveilleuse sirène :
- Je suis madame Malibran, dit-elle.
Dorval jeta un cri, étendit la main vers la seule gravure qui ornait sa loge.
C'était le portrait de madame Malibran dans Desdemona.
A partir de ce moment, madame Dorval avait une des deux choses qui lui avaient manqué jusque-là pour devenir une femme du plus haut mérite : une amie pleine de vérité, mais, en même temps, pleine de distinction; cette amie, madame Malibran venait la lui offrir.
L'exclamation de madame Dorval quand elle m'arrêta près de l'Odéon, cette consanguinité artistique, qu'elle scellait franchement par un baiser fraternel, me rendirent bien heureux ! Pour que l'orgueil soit satisfait, il faut que l'éloge vienne de plus haut, ou tout au moins d'aussi haut que celui qui le reçoit.
Ce qui vient d'en haut est de l'ambroisie ; ce qui vient d'en bas n'est que de l'encens. 

En 1841, en tournée en Belgique, Marie Dorval ira fleurir la tombe de la Malibran.
Après la mort de Marie Dorval , il est mentionné dans ses bijoux:
Un bracelet donné à Dorval par madame Malibran

L'incendiaire, Dorval et Vigny


Séché, Léon. Alfred de Vigny et son temps (1797-1863)









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