Marie Dorval 2 vers 1830/ Vigny, Sand...

 La confirmation du succès de Marie Dorval et le romantisme: Antony, Marion Delorme...

Suite de Marie Dorval 1 les débuts

En 1827, donc,  Marie Dorval connaît son premier grand triomphe dans la pièce Trente ans, ou la vie d’un joueur où elle a pour partenaire le célèbre acteur Frédérick Lemaître avec lequel elle aura de nombreux succès professionnels. (Voir l'article à venir sur ce duo)
 Après la reconnaissance du public elle devient l'actrice incontournable pour les auteurs du romantisme qui vont lui offrir de jolis succès, je reviendrai sur ses pièces dans des prochains articles: 
Marie Dorval devient vite l'égérie du nouveau courant du drame romantique, et crée de nombreux rôles qui resteront célèbres. En 1831, elle triomphe ainsi dans Antony d'Alexandre Dumas, joué, un record, 103 soirs de suite à la Porte Saint Martin avant de partir en tournée en province. Les critiques sont unanimes "Jamais on ne vit au théâtre une actrice plus profondément féminine".
Victor Hugo dit d'elle "Elle n'est pas belle, elle est pire que belle".


Marie Dorval, côté coulisses, Merle, Vigny, George Sand...

 En 1829, elle a épousé le journaliste et auteur  Jean-Toussaint Merle, avec lequel elle vivait depuis au moins déjà deux ans, l'ancien  directeur du théâtre de la Porte Saint Martin. Merle avait deux fils de premières relations, Marie trois filles de son côté. Elle a 31 ans, lui une quinzaine de plus, passionné d'antiquités, il n'est pas plus économe que celle qui l'épouse, connue pour sa générosité auprès de son entourage. Ce mariage d'ailleurs est pour Merle un moyen d'échapper à une saisie en faisant passer ses biens pour ceux de Marie Dorval. Le couple aura toujours des difficultés financières que les succès de Marie Dorval ne parviendront pas à combler. Dettes et créanciers seront toujours des funestes ombres autour d'eux et pousseront la comédienne, jusqu'au bout plus cigale que fourmi,  à enchaîner pièces et tournées pour assurer la subsistance de sa famille. 
Merle participe peu après le mariage à l'expédition d' Alger,  de 1830, dont il revient plutôt affaibli, perturbé également par la chute de Charles X , en proie à de nouveaux soucis financiers et sans grand avenir professionnel, sans beaucoup d'autres ressources que de s'appuyer sur les cachets de sa femme.
" Il est  toujours gai et satisfait, pourvu qu'on ne  fasse pas un pli dans son bien-être, disait Mme Dorval à George Sand, qui le  rapporte dans l'Histoire de ma vie. Il  est facile à vivre et charmant dans son  égoïsme».
Dans ses mémoires, Dumas fait parler ainsi Marie Dorval: "A propos, nous nous sommes mariés, avec Merle. C'est un moyen de nous séparer." 
Bref, un  mariage qui vire rapidement plutôt au compagnonnage, même si Merle surveillait tout de même l'emploi du temps de sa femme comme elle le révèle dans ses lettres. "Il me menace de venir" écrit-elle à Vigny en 1833 depuis Rouen. Il la rejoint en effet, mais ne semble guère attentionné "Il n'a pas été me voir jouer. il n'est pas là quand on m'applaudit et qu'on ne redemande, sa chambre est loin de la mienne." "je ne le vois pas le matin parce qu'il se lève tard et que moi j'ai répétition à 10 heures"  [Après la représentation, quelques personnes viennent souper avec eux] quand il en a assez de la conversation, lui, et qu'il a envie d'aller se coucher, il fait partir tous ces gens-là et sort avec eux parce que sa chambre n'est pas du même côté que la mienne" . Un époux qui devenu malade, sera bientôt à la charge de sa femme. 

Son salon devient le lieu de tendez-vous de Dumas, Hugo, Sainte-Beuve, Vigny... mais aussi ses anciens amants, Piccini (qu'elle aida financièrement jusqu'à sa mort) , ou partenaires de scène comme Frédérick Lemaître, restés des familiers. Un esprit de tribu régnera toujours à son domicile.

Marie Dorval aura plusieurs liaisons, dont certaines sont restées célèbres : en 1832, après deux ans d'une relation professionnelle et amicale qui virera au flirt, elle devient la maîtresse d’Alfred de Vigny  
"Je t'aime comme on ne t'a jamais aimé". Voilà ce que Marie Dorval écrit à Vigny en 1833: "que je t'aime, que je suis jalouse"...
Passion, jalousie, suspicion, comme en témoignent les nombreuses lettres qu'ils échangeront pendant les six années de leur relation 
Lettre de Marie Dorval à Alfred de Vigny

Liaison tumultueuse en effet, puisque le poète fit suivre en 1838 sa maîtresse par le premier détective de l'histoire : Vidoc, la rupture sera définitive quelques semaines plus tard. Vigny entretenait de son côté d'autres relations en parallèle et refusa toujours à Marie Dorval l'accès à son domicile, entre le comte et la théâtreuse, la différence sociale semblait pour lui rester un fossé infranchissable.
Dorval et Vigny
Cette liaison avec Vigny inspire les artistes tel Eugène Delacroix : 
Delacroix : Vigny et Dorval

La scène représente Marie Dorval faisant des reproches à Alfred de Vigny lors de la représentation de « La Maréchale d’Ancre » (Première le 25 juin 1831). Vigny qui a connu Marie Dorval l’année précédente en 1830, avait  écrit le rôle pour elle , deux lectures avaient eu lieu au domicile de la comédienne, mais c'est finalement mademoiselle George qui joua le premier rôle, aux côtés de Frédérick Lemaître (Marie Dorval le reprendra ensuite avec succès) sans que le poète puisse intervenir.
La Comédie française avait alors approché Marie Dorval et lui avait proposé un engagement, qu'elle avait alors refusé pour rester au théâtre de la Porte-Saint-Martin dirigé alors par Crosnier . En pleine période de rivalités et de jalousie entre théâtres, Crosnier semble avoir alors conclu un accord avec l'Odéon en y laissant partir la pièce de Vigny.
Vigny écrit à propos de La Maréchale "Je l'ai fait pour Mme Dorval, je la crois la première tragédienne existante. c'est une femme de 29 ans, passionnée et spirituelle."
A défaut de pouvoir intervenir pour qu'elle obtienne le rôle, Vigny offrit à Marie Dorval un exemplaire de La Maréchale d'Ancre sur lequel il avait écrit ce sonnet :

A MADAME DORVAL
 Si des siècles mon nom perce la nuit obscure,
Ce livre, écrit pour vous, sous votre nom vivra.
Ce que le temps présent tout bas déjà murmure,
Quelqu’un, dans l’avenir, tout haut le redira.
 D’autres yeux ont versé vos pleurs. Une autre bouche
Dit des mots que j’avais sur vos lèvres rangés.
Et qui vers l’avenir (cette perte nous touche),
 iront de voix en voix moins purs et tout changés.
Mais qu’importe ! Après nous ce sera pire chose ;
La source en jaillissant est belle, et puis arrose
Un désert, de grands bois, un étang, des roseaux ;
Ainsi jusqu’à la mer où va mourir sa course.
Ici, destin pareil. Mais toujours à la source,
Votre nom bien gravé se lira sous les eaux.
26 juillet 1831.

En janvier 1833, elle se lie d'amitié, après avoir reçu une lettre admirative sur l’une de ses représentations, avec George Sand . Après avoir reçu cette lettre, Marie Dorval se rend au domicile de George Sand, comme George Sand le raconte
"J'avais publié seulement Indiana je crois, quand, poussée vers madame Dorval par une sympathie profonde , je lui écrivis pour lui demander de me recevoir. Je n'étais nullement célèbre , et je ne sais même si elle avait entendu parler de mon livre. Mais ma lettre la frappa par sa sincérité. Le jour même où elle l'avait reçue, comme je parlais de cette lettre à Jules Sandeau, la porte de ma mansarde s'ouvre brusquement, et une femme vient me sauter au cou avec effusion, en criant tout essoufflée : « Me voilà moi  » Je ne l'avais jamais vue que sur les planches ; mais sa voix était si bien dans mes oreilles, que je n'hésitai pas à la reconnaître. Elle était mieux que jolie, elle était charmante; et cependant elle était jolie, mais si charmante que cela était inutile. Ce n'était pas une figure, c'était une physionomie, une âme. Elle était encore mince, et sa taille était un souple roseau qui semblait toujours balancé par quelque souffle mystérieux, sensible pour lui seul. Jules Sandeau la compara , ce jour-là, à la plume brisée qui ornait son chapeau. « Je suis sûr, disait-il, qu'on chercherait dans l'univers entier une plume aussi légère et aussi molle que celle qu'elle a trouvée. Cette plume unique et merveilleuse a volée vers elle par la loi des affinités , ou elle est tombée sur elle de quelque fée en voyage. » Je demandai à madame Dorval comment ma lettre l'avait convaincue et amenée si vite. Elle me dit que cette déclaration d'amitié et de sympathie lui avait rappelé celle qu'elle avait écrite à mademoiselle Mars après l'avoir vue jouer pour la première fois : « J'étais si naïve et si sincère ! ajouta-t-elle. J'étais persuadée qu'on ne vaut et qu'on ne devient quelque chose soi-même que par l'enthousiasme que le talent des autres nous inspire. Je me suis souvenue, en lisant votre lettre, qu'en écrivant la mienne je m'étais sentie véritablement artiste pour la première fois, et que mon enthousiasme était une révélation. Je me suis dit que vous étiez ou seriez artiste aussi : et puis, je me suis rappelée encore que mademoiselle Mars, au lieu de me comprendre et de m'appeler, avait été froide et hautaine avec moi ; je n'ai pas voulu faire comme mademoiselle Mars. » Elle nous invita à dîner pour le dimanche suivant ; car elle jouait tous les soirs de la semaine et passait le jour du repos au milieu de sa famille. Elle était mariée avec M. Merle, écrivain distingué , qui avait fait des vaudevilles charmants,et qui, presque jusqu'à ses derniers jours, a fait le feuilleton de théâtre de la Quotidienne avec esprit, avec goût, et presque toujours avec impartialité. M. Merle avait un fils; les trois filles de madame Dorval et quelques vieux amis composaient la réunion intime, où les jeux et les rires des enfants avaient naturellement le dessus. [...] Elle gagnait tout au plus quinze mille francs en ne se reposant jamais, et vivant de la manière la plus simple, sachant faire sa demeure et ses habitudes,  élégantes , sans luxe, à force de goût et d'adresse ; mais grande, généreuse, payant souvent des dettes qui n'étaient pas les siennes, ne sachant pas repousser les parasites qui n'avaient de droit chez elle que par la persistance de l'habitude, elle était sans cesse aux expédients, et je lui ai vu vendre, pour habiller ses filles ou pour sauver  des amis, jusqu'aux petits bijoux qu'elle aimait comme des souvenirs et qu'elle baisait comme des reliques. "

 

Dès la première rencontre, une relation très forte se noue entre les deux femmes, qui deviennent inséparables, ce qui ne plait guère à Vigny. Elles vont au spectacle ensemble, passent des heures à converser.  La tendresse et l’amitié que George Sand lui conserva jusqu’à sa mort ont parfois été interprétées comme une amitié amoureuse :  “ Je vois dans une intimité tutoyante madame Dorval, la fameuse comédienne dont je t’ai souvent parlé. Ce n’est pas une amie que je puisse te comparer à coup sûr, aussi je puis te dire que j’en suis folle, sans rien ôter de ma tendresse pour toi ”  George Sand à une amie , 1 avril 1833, Correspondance, t. II, p. 290

George Sand  lui a consacré un chapitre entier dans Histoire de ma vie. “ On ne lui a jamais fait, on n’aurait, je crois jamais pu lui faire le rôle où elle se fût manifestée et révélée tout entière, avec sa verve sans fiel, sa tendresse immense, ses colères enfantines, son audace splendide, sa poésie sans art, ses rugissements, ses sanglots et ses rires naïfs. ”  George Sand, Histoire de ma vie, t. II, p. 224-228  "Elle ! Dieu lui a donné la puissance d’exprimer ce qu’elle sent... Cette femme si belle et si simple, elle n’a rien appris ; elle a tout deviné... Je ne sais de quels mots expliquer ce qu’il y a de froid et d’incomplet dans ma nature ; je ne sais rien exprimer, moi. Il y a sur mon cerveau, à coup sûr, une paralysie qui empêche mes sensations de prendre une forme expressive... alors, si cette femme paraît sur la scène avec sa taille brisée, sa marche nonchalante, son regard triste et pénétrant, alors savez-vous ce que j’imagine ?... Il me semble que je vois mon âme"

Marie Dorval jouera dans Cosima, pièce écrite par G. Sand : Cosima George Sand 

Une lettre de George Sand à Marie Dorval alors en tournée "tu dois avoir des succès énormes, car tu es belle, tu es un ange et tout ce qui te voit doit t'admirer et t'adorer. [...] Je me suis figuré que tu ne m'aimes pas. J'ai pleuré comme un âne depuis que tu es partie. Je ne sais pas tout ce qu'on m'a dit pour me persuader de ne pas t'aimer.  [...] Je veux t'aimer toujours, soit pour pleurer, soit pour rire avec toi. [...] si tu es triste, je serai triste, si tu es gaie, vive la joie. [...]A toi toujours. George."
Dans une lettre datée de juin 1833 (cf. M-J Bonnet, Les Relations amoureuses entre les femmes, 1995, p.221), George déclare à Marie :Tu es la seule femme que j'aime, Marie : la seule que je contemple avec admiration, avec étonnement. Tu as des défauts que j'aime et des vertus que je vénère. Seule parmi toutes celles que j'ai observées attentivement, tu n'as jamais un instant de petitesse ou de médiocrité.
14 ans plus tard, rien a changé pour George Sand "Elle ! Elle est toujours la même et je l’aime toujours. C’est une âme admirablement belle, généreuse et tendre, une intelligence d’élite, avec une vie pleine d’égarements et de misères. Je t’en aime et t’en respecte d’autant plus, ô Marie Dorval "
De son côté, Marie l'invitant à une représentation "j'ai besoin de sentir qu'il y aura quelqu'un qui m'aime, adieu, je t'aime, toi!"
Marie Dorval ira jusqu'à faire baptiser son petit-fils du prénom de Georges, en hommage à George Sand qui en sera la marraine et qui continuera à s'occuper des autres petits enfants de Marie Dorval après la mort de la comédienne. 

Une histoire que l'on a retrouvée il y a quelques années à travers la chanson Entre elle et moi de la comédie musicale SAND ET LES ROMANTIQUES avec Veronique Sanson (Marie Dorval) et Catherine Lara (George Sand)


 Marie Dorval exprimera son talent remarquable à la Porte Saint-Martin, dans des œuvres mélodramatiques, le Château de Kenilworth, les Deux forçats, Trente ans ou la Vie d’un joueur ;  des créations comme Antony , Quitte pour la peur, et Marion de Lorme, lui permettront de dévoiler l'ampleur de son talent
Marie Dorval dans Marion Delorme Victor Hugo

Au Théâtre-Français, elle a été applaudie particulièrement dans Angelo et dans Chatterton.
Emile Coupy : Que de créations remarquables ne citerions-nous pas si nous voulions rappeler tous ses titres Sans nommer Adèle d'Hcrvey, Kitty-Bell, Marion-Delorme, Cosima; n'avons nous pas Amélie dans Trente ans de la vie d'un joueur, Rodolphine dans la main droite et la Main gauche, dona Sol dans Hernani, qu'elle a su créer après Mlle Mars. Mme Dorval est l'artiste par excellence du drame moderne. Nulle mieux qu'elle ne représentera la passion ardente, mais contenue, comme dans Antony; l'amour platonique comme dans Chatterton; l'amour maternel, comme dans Marie-Jeanne; l'amour de la famille, comme dans le Joueur. «Quand je joue avec elle, dit Bocage, je suis ému, transporté; cette femme m'électrise »

Monnier, Henry. Mémoires de Monsieur Joseph Prudhomme. 1857.


Je reviendrai dans un prochain article sur la deuxième partie de la vie de Marie Dorval .
Mise à jour, les 4 articles biographiques

 Marie Dorval 1 les débuts

Marie Dorval 2 vers 1830, premiers succès et entourage:  Vigny Sand

Marie Dorval 3 les années 1830-1840, la comédie française, les tournées en province, Angelo, Hernani, Cosima...

Marie Dorval 4, après 1843, les derniers rôles, la famille, les dernières tournées, la fin de sa vie

 

mise à jour:

Marie Dorval dans Kitty Bell de Chatterton , drame romantique d'Alfred de Vigny, de la comédie française aux tournées en province
Quitte pour la peur de Vigny avec Marie Dorval-1833

 
Pour en savoir plus:
Un article dans le cadre du challenge romantique

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