Même le silence a une fin, Ingrid Betancourt

Même le silence a une fin, Ingrid Betancourt, présentation de l'éditeur

Le 23 février 2002, Ingrid Betancourt est enlevée par les FARC. Un calvaire commence, qui prendra fin six ans et demie plus tard, le 2 juillet 2008.
Ingrid Betancourt décrit avec précision sa captivité aux mains des FARC. Le récit débute par une impressionnante scène, décrivant l' une de ses cinq tentatives d évasion. Le lecteur est ainsi fixé à la fois sur la détermination de la prisonnière, et sur la dureté de ses conditions de détention. On revient ensuite au début de l' histoire, qui suivra dès lors le fil chronologique, à commencer par la journée du 23 février 2002.
De cette litanie de journées semblables, Ingrid Betancourt parvient à faire un récit captivant de bout en bout. Elle nous plonge dans la vie quotidienne de la jungle, rendant presque palpables l' attente et l' angoisse, décrivant de façon très nuancée ses geôliers, qui pour la plupart ont l' âge de ses propres enfants. Elle raconte les évasions ratées, les humiliations permanentes dues à la promiscuité et à la cruauté de certains gardes ou commandants de camps successifs, les conditions de vie épouvantables, la fuite permanente, les malaises et les maladies, les périodes de découragement. Chaque tentative d' évasion entraîne des traitements toujours plus violents, mais aussi les reproches de ses codétenus, qui la rendent responsable de l' aggravation immédiate de leurs conditions. Il y a aussi des moments inattendus de joie (la confection de ceintures tressées en fil de nylon, la broderie, la lecture de la Bible ou de Harry Potter, le gâteau d ' anniversaire confectionné pour la date de naissance de la fille d' Ingrid, les geôliers soudain se mettant à danser avec la grâce des adolescents qu' ils sont...). Et puis des amitiés fortes qui naissent contre toute attente dans ce monde cruel. Le lecteur est introduit dans l' intimité de ce petit monde en loques, errant sous les pluies diluviennes dans une jungle peuplée d' insectes monstrueux, ravagée par les maladies, où les humains sont placés dans un redoutable face à face avec eux-mêmes, leurs faiblesses, leurs mesquineries, leurs terreurs, mais aussi leurs convictions et leurs espoirs. Une amitié très forte liera Ingrid à Lucho, l' un de ses codétenus, avec qui elle s' évadera : cinq jours hallucinants dans une forêt sans fin, avant d' être repris par des geôliers qui ne tarderont pas à se transformer en bourreaux. Cercle après cercle, nous sommes conviés à un voyage infernal où l' humanité pourrait se perdre, et où elle puise au contraire les raisons essentielles de s' affirmer.
Même le silence a une fin restera sans doute comme un des grands textes de la littérature concentrationnaire. Il ne s' agit pas simplement d' un récit-choc, mais d' un vrai livre, profond et beau. Il décrit une aventure humaine qui reste palpitante malgré son caractère atroce, et un itinéraire spirituel qui force le respect.
Ingrid-Betancourt

Le titre : Même le silence a une fin provient du poème :

 Pour tous de Pablo Neruda

Pour tous

Soudain, je ne suis pas capable de te te dire
Tout ce que je devrai te dire
écoute et pardonne moi, tu sais bien
que même si tu n'écoutes pas mes paroles
je ne vais ni pleurer ni dormir
car même sans te voir près de moi tu te tiens
depuis si longtemps et jusqu'à la fin

Je sais bien que beaucoup se demandent
"mais que fait Pabo?" Et bien me voici
Si tu me cherches dans cette rue
Tu me trouveras avec mon violon
prêt à chanter
et à mourir.

Il n'est pas question de quitter personne
ni ceux-là, et encore moins toi,
et si tu écoutes bien, dans la pluie,
tu pourras entendre
que je reviens, et j'avance et je m'arrête
Et tu sais que je dois partir

Si mes paroles restent ignorées
Ne doute pas que je suis toujours le même
Même le silence a une fin
Quand viendra le moment, attend moi
et que tous sachent que je viens
dans la rue, avec mon violon


Para todos

De pronto no puedo decirte
lo que yo te debo decir,
hombre, perdóname, sabrás
que aunque no escuches mis palabras
no me eché a llorar ni a dormir
y que contigo estoy sin verte
desde hace tiempo y hasta el fin.

Yo comprendo que muchos piensen,
y qué hace Pablo? Estoy aquí.
Si me buscas en esta calle
me encontrarás con mi violín
preparado para cantar
y para morir.

No es cuestión de dejar a nadie
ni menos a aquéllos, ni a ti,
y si escuchas bien, en la lluvia,
podrás oír
que vuelvo y voy y me detengo.
Y sabes que debo partir.

Si no se saben mis palabras
no dudes que soy el que fui.
No hay silencio que no termine.
Cuando llegue el momento, espérame,
y que sepan todos que llego
a la calle, con mi violín.

Le début:

Décembre 2002. J'avais pris la décision de m'évader. C'était ma quatrième tentative, mais, depuis la dernière, les conditions de détention était devenues encore plus terribles. On nous avait installées dans une cage construite avec des planches de bois et des lames de zinc en guise de toit. 

Mon avis:

On a tellement dit, écrit de choses autour de cet événement qu'il me semblait important de lire ce que la principale protagoniste voulait en dire.
Il en ressort un livre bouleversant, qui se lirait presque comme un roman si le sujet tant politique qu'humain n'en était si grave.
Comment survivre , comment tenir psychologiquement face à une si longue captivité et dans des conditions si dégradantes? Face à l'environnement hostile, face aux humiliations, aux coups, jusqu'à l’indicible, "l'inécrivable" en tout cas (les représailles après une tentative d'évasion) , face aux conditions d'emprisonnement, les marches forcées, les conditions sanitaires, les "punitions" après les tentatives d'évasion manquées, les nouvelles de l'extérieur (la mort de son père, la voix de sa mère et de ses enfants à la radio), la séparation d'avec les prisonniers avec lesquels elle avait créée des liens, l'interdiction de parler, mais aussi la lutte entre prisonniers, pour la nourriture, pour l'équipement...
Comment déconnecter l'esprit du corps qui souffre pour ne pas sombrer? Les "occupations", tissage, sport, l'importance des livres (Harry Potter, les dictionnaires), la Bible. Résister aussi. Quelles qu'en soient les conséquences. Refuser de n'être qu'un numéro, cacher un poste de radio, refuser les mises en scène des "preuves de vie".
Une profonde analyse, personnelle et de ceux qui l'entourent, la religion, l'espoir... Les mécanismes du pouvoir, de la domination, au sein des Farc, les processus de déshumanisation des prisonniers, les relations difficiles entre les prisonniers montés les uns contre les autres, des guérilleras qui restent en mémoire...
Une lecture qui m'a touchée, on pense à l'après aussi. Le sien, celui de sa famille, comment faire avec tout cela, plus la pression médiatique, pour reprendre un semblant de vie "normale" après ces années de captivité? On pense aux autres aussi et surtout, à ceux qui sont encore prisonniers en Colombie ou d'en autres pays en proie aux mêmes combats...

Et puis même le sujet est dramatique, il y a aussi une vraie découverte de la faune et de la flore de cette région d'amazonie, entre insectes, serpents et autres menaces, boue, pluie diluvienne,  mais aussi singes, perroquet,  une jungle à la fois hostile, dangereuse,  et des moments superbes, de chutes d'eau en  oiseaux multicolores, tout un univers qui se livre à nous
Colombie


Lecture dans le cadre du challenge Littérature de l'Amérique Latine
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