Marie Dorval : rôles des années 1843/47 Lucrèce , Louise, Agnès, Augusta...
Lucrèce
Marie Dorval joue en 1843 Lucrèce de
François Ponsard au Théâtre de l'Odéon. Une oeuvre considérée comme
marquant la fin de la période du romantisme. Marie Dorval avait été un
des phares de ce mouvement, elle participe ainsi au tournant littéraire
de ce milieu XIXème.
Marie Dorval Lucrèce
"L'ouvrage
marque une date importante dans l'histoire du théâtre français, non par
sa valeur intrasèque, mais parce qu'elle fut, en pleine période
romantique, un retour au classissisme et servit d’étendard à la réaction
littéraire" (Dict. Des Oeuvres)."22 avril 1843. L'Odéon fut plein à
craquer. Ce fut un triomphe. "C'est du
Corneille retrouvé, avait écrit Sainte-Beuve, du Romain pur et
primitif". Et Lamartine : " C'est un vrai poète qui se lève !". Ce
furent Mme Dorval et Bocage, vétérans du drame romantique, qui tinrent
les principaux rôles" La jeunesse du quartier Latin tout
particulièrement, est séduite par la pièce qui sera jouée plus de
quarante fois en ce printemps 1843.
Le Théâtre Et la Société Française de 1815 à 1848:
Lucrèce, par M. Ponsard. Brute : Bocage ; Lucrèce : madame Dorval ; Dernière scène de la tragédie de Lucrèce
Marie dorval Lucrèce
Le succès de Lucrèce dans la presse
Dans les bijoux de Marie Dorval après sa mort, on trouve
Une bague et une broche données par Ponsard en souvenir de Lucrèce.
Pendant la fermeture estivale de l'Odéon, elle reprend une fois encore Antony et la Tour de Nesle à la Porte-Saint-Martin, mais aussi une création : Lénore
d'Henri Blaze, où elle interprète le rôle d'une jeune fille de seize
ans, ce qui ne pouvait manquer de faire sourire et ce qu'elle
reconnaissait elle-même. Mais faute de mieux, c'était toujours un
contrat. Elle n'en avait pour autant pas moins préparé comme toujours
son rôle avec soin demandant au baron de Rotshild l'accès à sa
collection pour étudier "la physionomie, la pose et le costume de
Lénore" dans une toile qu'il possédait d'Ary Scheffer.
Lénore Ary Scheffer
A
la rentrée, Lucrèce est reprise à l'Odéon, avec un changement dans la
distribution puisque Marie Dorval est passée du rôle de Lucrèce à celui
de Tullie qui convenait peut-être mieux à son tempérament mais une
maladie l'empêche d'assurer plus d'une vingtaine de représentations.
Toujours
à l'Odéon , elle crée fin décembre 1843 "La duchesse de Châteauroux",
de Sophie Gay, qui ne trouva pas grâce devant les critiques et disparut
de l'affiche au bout de trois représentations seulement.
Les petits-enfants
Mais vient de naître son petit fils, Georges, et l'essentiel de son bonheur est là.
Un
repli autour du cercle familial semble s'opérer, religion, famille,
cette naissance marque un net changement des priorités, des premiers
ennuis de santé en 1844 qui vont la tenir plusieurs fois alitée vont
également contribuer à ce repli.
Une petite Marie naîtra ensuite,
et leur grand-mère jouera bien souvent comme elle l'écrit à George Sand
les "bonnes d'enfants" "J'adore mes petits-enfants, Marie est une petite
princesse, jolie à croquer. George est devenu beau comme un astre, et
charment, avec de beaux chevaux blonds bouclés. Son nom lui porte
bonheur".
Jane, dans Marie Tudor
Fort
de ces derniers succès, l'Odéon rêve de reproduire le choc de la
confrontation de deux grandes actrices comme cela avait été le cas entre
Mlle Mars et Marie Dorval pour Angelo. Il s'agit cette fois de
réunir Marie Dorval et Mlle George qui l'avait privée autrefois de
plusieurs rôles à la Porte-Saint-Martin. Les deux comédiennes
acceptèrent toutes deux le défi, autour de Marie Tudor d'Hugo,
avec le rôle de Marie d'Angleterre pour Mlle George et de Jane,
l'orpheline qui dispute à la reine le cœur de Fabiano pour Marie
Dorval.La première a lieu le 12 janvier 1844.
"Tournoi
curieux, joute brillante, où la victoire n'a été à personne, où les
deux rivales ont été accablées de couronnes qu'elles se sont ensuite
fraternellement partagées" conclut la Revue et gazette des théâtres.
La comtesse d'Altenberg
Marie Dorval continue à jouer à l'Odéon ensuite, dans La comtesse d'Altenberg, en mars, dans le rôle d'une mère prête à sacrifier sa vie pour préserver l'honneur de sa fille.
La
Chronique "Un nouvel emploi s'ouvre pour Mme Dorval, celui des mères
belles encore, mais belles de la seconde beauté des femmes [...] Les
applaudissements ont interrompu le dernier acte presque de phrase en
phrase."
Gérard de Nerval
dans l'Artiste : "Mme Dorval a retrouvé là un de ces rôles où elle est
parfaite[...]se met tellement dans la situation que souvent il lui
échappe des expressions sublimes de mère et d'épouse outragée."
Et
pourtant, en dépit du succès, son contrat avec l'Odéon qui expirait fin
avril, n'est pas renouvelé , le théâtre se lançant dans des travaux
pour monter une Antigone.
C'est
donc vers la porte Saint-Martin que Marie Dorval se retourne à nouveau,
où elle reprend une fois encore ses succès d'autrefois tout comme lors
d'une courte tournée à Dôle, Châlons-sur-Marne, Mâcon.
Louise Bernard
Elle y reprend Louise Bernard,de Dumas père, Leuven et Brunswick
Janin,
Jules (1804-1874). Histoire de la littérature dramatique "Même dans
les drames oubliés de M. Alexandre Dumas, et dont lui-même il ne se
souvient plus sans doute, on retrouvera, plus tard, en les cherchant
avec beaucoup de zèle et d'attention, des scènes puissantes. Je me
rappelle une certaine Louise Bernard, la fille d'un menuisier, séduite
par le roi Louis XV; un rôle fait pour madame Dorval, et madame Dorval
s'y montrait bien touchante. Elle n'était pas jolie, elle n'était plus
jeune, même en ses beaux jours, mais elle avait le charme, et le charme
allait jusqu'à la séduction, lorsqu'elle se montrait en simple cornette :
Cotillonsimple,et souliers plats, les cheveux sans poudre et le visage
sans fard; et quelle grâce elle avait dans ce négligé, dans ce costume à
peine attaché avec une épingle, toujours prêt à tomber, laissant
entrevoir tantôt un bout d'épaule, et tantôt un autre bout, et l'épaule
était fort blanche. On avait vu, rarement, une nudité aussi coquette,
aussi décente que celle - là. C'était le grand art de madame Dorval ;
elle savait tout, elle savait même au besoin être belle, et le grand
talent de M.Alexandre Dumas, c'était do mettre en oeuvre cette beauté,
cette intelligence en lumière. Avec madame Dorval, il était sûr de
réussir; de son côté, madame Dorval n'hésitait pas, quand elle
s'appuyait sur ce géant, par qui soudain tout obstacle était franchi,
toute vallée était comblée. Otez madame Dorval des drames de M.
Alexandre par qui soudain tout obstacle était franchi, toute vallée
était comblée. Otez madame Dorval des drames de M. Alexandre Dumas , son
drame, aussitôt, perd une grande part de sa force et de son autorité.
Lady Seymour
Lady Seymour drame en 5 actes / de Charles Duveyrier ;
avec Raucourt dans le rôle de Perkins, Marie Dorval dans celui de Lady
Seymour et Charles Clarence dans celui d'Arthur Seymour
Théâtre
de la Porte Saint-Martin (Théodore Cogniard), La première, repoussée en
raison de l'état de santé de Marie Dorval avait été reportée au 7
février 1845
George Sand s'étonne que son amie fût "si belle et si bonne, si gracieuse et si naturelle dans cette mauvaise pièce".
Les
débats [Marie Dorval] est "pathétique, passionnée, touchante et vraie,
même quand elle se sert pour entrer dans nos âmes des fausses clés du
coeur humain".
Le journal des théâtres "[c'est] une des créations les plus heureuses et les plus brillantes de Mme Dorval".
Lady Seymour Marie Dorval
C'est à cette période que la rivalité avec
Mlle George s'efface, les deux comédiennes retrouvent Marie Tudor pour
une représentation au béénfice du comédien Moëssard, et se rapprochent,
toutes deux ne sont plus des rivales, mais des victimes d'une nouvelle
génération de comédiennes qui les a relégué au second plan. Et c'est
ainsi que Mlle George participe à une soirée donnée au théâtre Ventadour
le 13 mai 1845, au bénéfice de Marie Dorval qui y reprend Chatterton.
Vigny assiste à la représentationet lui écrira ensuite "Jamais vous ne
fûtes plus belle dans aucun rôle et dans aucun temps".
A son
tour, Marie Dorval participera en aôut à une représentation au bénéfice
de Mlle George, pour laquelle elles reprirent Marie Tudor.
Marie-Jeanne (j'y reviendrai dans un article plus détaillé)
De
nouveaux ennuis de santé viennent compliquer les répétitions, Marie
Dorval recourt aux somnifères pour lutter contre angoisses et insomnies,
ce qui lui vaut une grave alerte dont le Coureur des spectacles se fait
l'écho le 7 août : "Le monde dramatique a failli perdre une de ses
célébrités les plus populaires. Mme Dorval, indisposée depuis quelques
jours, avait imaginé de recourir à une décoction de pavots pour
retrouver un peu de sommeil. Malheureusement, la décoction étant
beaucoup trop forte, [...M. dorval] fut crue un instant en danger de
mort. Grâce à des soins assidus, cependant la célèbre artiste an a été
quitte pour une crise de 48 heures et son état n'inspire plus aucune
inquiétude".
Elle fut toutefois contrainte de reporter la date de
la première, qui aura lieu le 11 novembre 1845; puis par suite d'une
rechute d'interrompre les représentations de la pièce.
Coupy "Revenant au drame des boulevards, elle remporta malgré ses forces
épuisées , un dernier succès avec Marie-Jeanne, ou la femme du peuple,
d’Adolphe d'Ennery, l'histoire terrible d'une femme qui doit abandonner
son enfant, enfant dont on lui annonce la mort lorsqu'elle veut le
reprendre des mois après, avant de comprendre qu'il a été échangé avec
le fils, bien mort celui là , d'une autre femme. Un rôle dans lequel
elle fit verser de nombreuses larmes et eut un formidable triomphe en
1845 et 1846 à la Porte-Saint-Martin puis en tournée."
Marie Dorval dans Marie-Jeanne
En février, alors qu'elle envisageait un séjour à
Marseille, tant pour y jouer que pour les excellents souvenirs qu'elle
gardait de ses deux précédentes tournées dans cette ville, un médecin
diagnostique une pleurésie aiguë, avec épanchement. Le directeur de la
Porte-Saint-Martin, Coignard, confie alors le rôle de Marie-Jeanne à une
autre actrice.
elle passera quelques temps en maison de repos,
avant de, poussée toujours par les mêmes besoins financiers, de
reprendre le chemin des répétitions :
Agnès de Méranie
Après
de nombreuses conjectures dans la presse sur l'état de santé de Marie
Dorval, et sur d'hypothétiques remplacements, Ponsard ayant accepté de
reporter la date de création de sa pièce à la fin de l'année 1846, la
comédienne pût non seulement assurer les répétitions, mais même assurer
en juillet août ses représentations à Marseille avant la création
d'Agnès de Méranie.
Son petit-fils George l'accompagna dans
cette tournée, où elle joua Marie-Jeanne, Angelo, Les deux forçats, le
proscrit, Phèdre...
Elle prolonge ensuite sa tournée dans les
villes du sud, mais sa santé s'altère à nouveau, Réné Luguet la rejoint
pour les dernières représentations, en octobre 1846 à Béziers avant de
commencer à Paris les répétitions d'Agnès de Méranie.
La santé de
son époux n'est guère plus florissante, il garde de plus en plus le lit,
les familiers désertent peu à peu l’appartement de la rue de Varenne.
Marie
Dorval place alors beaucoup d'espoirs en cette création , comme l'écrit
Luguet "Jamais madame Dorval ne se sera élevée à une telle hauteur
poétique, jamais elle n'aura joué un rôle mieux fait à sa taille, un
rôle pathétique, dramatique [....] de reparaitre éclatante, après avoir
succombé sous les fatigues de Marie-Jeanne.
La reine Agnès est la seconde femme de Philippe-Auguste.
Agnès de Méranie Tragédie en 5 actes
de François Ponsard
Création le 22 décembre 1846 : Théâtre de l'Odéon (Paris)
Interprétation Bocage (Philippe-Auguste) Marie Dorval (Agnès de Méranie)
L'ouvrage
ne rencontra qu'un assez tiède succès, comme s'en fait l'écho l'artiste
"On s'est étonné du désappointement des admirateurs de Lucrèce à
l'endroit d'Agnès. C'est qu'il y a une grande différence entre un chef
d'oeuvre auquel on ne s'attendait pas et un chef d’œuvre auquel on
s'attendait trop". La pièce restera cependant une trentaine de soirs à
l'affiche de l'Odéon.
"Pourtant après une courte hésitation,
Marie Dorval a victorieusement surmonté les difficultés de ce rôle ingrat et épineux. A mesure qu'elle
saisissait un lambeau d'action, elle ne le lâchait
plus qu'elle n'en eût fait jaillir des étincelles. Dans
ses scènes avec Philippe-Auguste, avec le légat,
avec Guillaume, avec sa suivante, elle a parcouru
habilement la gamme des sentiments les plus
tendres et les plus exaltés; et quand elle est arrivée
à sa scène d'imprécations, au quatrième acte,elle a a
déployé une telle puissance d'énergie et de colère,
que la salle entière a failli crouler au bruit des
applaudissements. » (Courrier français du 28 décembre 1846.)
Mais la santé de la comédienne continue de se dégrader :
La
Mode "Mme Dorval est toujours cette grande actrice qui sent et dit avec
une admirable justesse, mais dans les moments de passion, ses moyens la
trahissent, sa voix n'arrive plus que brisée, comme ces cristaux
précieux dont on juge la valeur par leurs débris. On éprouve alors en
l'écoutant [...] une admiration sincère pour d'énergiques efforts, pour
de sublimes élans, pour un talent toujours le même, servi par des
organes qui s'affaiblissent, on a mal à la poitrine de Mme Dorval, à
force d'émotion et de sympathie".
La gestion de la salle se revèle déficitaire, Marie Dorval est obligée d'aller en justice pout toucher son dû, Vizentini qui prend la succession de Bocage à la tête de l'Odéon le 1er mars renouvèle le contrat de la comédienne jusqu'en mai et remet à l'affiche Marie-Jeanne et Clotilde, avant de lui offrir une nouvelle création : le rôle d'Augusta dans Le syrien.
Marie Dorval dans le rôle d'Agnès par Hippolyte Lazerges
En reprenant cette pièce en tournée, à Saint-Omer, Alexandre Dumas raconte un incident qui aurait pu être dramatique
On jouait Agnès de Méranie.
Pour figurer une salle gothique on avait suspendu des trophées au plafond. Ces trophées étaient nature.
Au moment où Dorval entrait en scène, une lance se détacha d’un trophée et lui tomba verticalement sur le front.
Le
fer de la lance déchira les chairs et lui fit une blessure grave,
qui commençant au haut de la tête se prolongeait entre les deux yeux. Le
sang jaillit aussitôt. Dorval porta les deux mains à son visage.
Entre ses doigts et sous ses mains, le public vit couler le sang.
Le spectacle fut interrompu, Luguet l’entraîna hors de la scène, et
pendant que le médecin appelé rapprochait les chairs, pour que la
représentation pût continuer :
— Mon ami, dit-elle, il faut dire adieu au théâtre; les directeurs me
le disent par leur abandon, et voici un présage plus sérieux encore.
Augusta
Le Syrien (drame, 5 actes en vers), par Latour de Saint-Ybars, jouée le 13 avril 1847
C'est le dernier rôle crée par Marie Dorval, à l'Odéon.
Une pièce qui ne suscita guère d'enthousiasme et la fatigue visible de la comédienne est ce que l'on en retient essentiellemen.
Béranger " Mme Dorval était au bout de ses forces. On doutait qu'elle pût reparaître au théâtre".
Elle livre pourtant ses dernières forces dans la bataille :
La revue littéraire : " Augusta déplore les excès de son mauvais fils ; elle bénit l’amour de
Marcellus ; elle maudit le crime épouvantable de Sévère, devenu le
délateur de son frère : en tout, trois scènes que Mme Dorval joue avec
son énergie de lionne blessée."
Alors que son contrat à L'Odéon n'est pas renouvelé après le Syrien, ne lui reste plus une nouvelle fois qu'à reprendre la route, pour trouver les resssources financières nécesaires à sa famille.Un troisième petit-enfant, Jacques a aggrandi la famille de la rue de Varenne, et le nombre de bouches à nourir par la même occasion.
Elle reprend Marie-Jeanne, sur des petites scènes, en Belgique, où l'accueil n'est guère meilleur qu'à Paris : Le commerce Belge "Le rôle de Marie-Jeanne est un de ceux où la grande actrice peut le mieux dissimuler les ravages des années". Elle joue ensuite à Lille, avant de revenir à Paris où elle doit faire face à une nouvelle déconvenue : c'est à Rachel, que la comédie-française confie ses anciens rôles.
Elle repart alors sur les routes, du midi cette fois, avec la troupe de Théodore Chauloux.
Cette tournée se déroule sans encombre et lui apporte des accueils chaleureux, elle y est une nouvelle fois accompagnée par son petit-fils, Georges, âgé alors de 4 ans, qui tombe malade à Perpignan, comme on peut le lire dans le Roussillonnais du 4 janvier 1848 : "Mme Dorval jouait dans Charles VII. Elle a eu un succès prodigieux.[...]elle est retenue dans notre ville par suite d'une indisposition dont son petit-fils vient d'être atteint'.
A son retour à Paris, Balzac lui propose le rôle de La Marâtre, une première lecture a lieu, mais l'auteur n'a écrit que le début de la pièce et la fin se fait attendre...
En attendant, elle reprend avec succès Marie-Jeanne au Théâtre historique en avril 1848 :
Le corsaire "Ce sera jusqu'au bout un spectacle magnifique toujours et souvent sublime que de voir Mme Dorval se débattre dans un drame".
Et, par ricochet, le peu de succès de Rachel dans la reprise de Lucrèce à la Comédie-Française, redore aussi le crédit de Marie Dorval à Paris.
Mais un nouveau drame allait marquer la fin de sa carrière et de sa vie : la disparition tragique de son petit-fils Georges,
à l'âge de 5 ans, fils de Caroline et René, disparition dont elle ne se
remettra pas. Il l'avait accompagné en tournée, il était le centre de sa vie." c'est tout mon bonheur" disait-elle à George Sand. Et peut-être aussi une certaine culpabilité la gagne-t-elle a l'avoir entraîné sur les routes avec elle. Elle passe ses journées au cimétière Montparnasse, le monde du théâtre ne comprend pas que son chagrin lui fasse renoncer à la Marâtre, les portes se ferment définitivement à Paris.
Après cette disparition tragique, son
gendre René Luguet, continue à lui trouver des
engagements en Province, pour tenter à la fois de la sortir de la
dépression dans laquelle cette mort l'a fait sombrer, mais aussi parce
que les finances familiales sont au plus mal.
Elle écrit à Bénédit : "On me dit que je dois jouer la comédie. Quelle horreur pour moi, croyez-le bien! Mais il faut vivre pour nos autres petits-enfants. Sans eux, mon bonheur serait d'entrer dans une maison de religion pour n'en plus sortir".
Au théâtre histrorique d'Alexandre
Dumas, elle joue pour quelques représentations en septembre
1848 : Charles VII chez ses grands vassaux, tragédie en 5 actes, par
Alexandre Dumas, dans le rôle de Bérengère qu'elle laissa rapidement à
Mlle Rey. .
Elle fait ensuite une demande pour entrer
comme pensionnaire au Théâtre français, demande qui lui est refusée
(voir le texte de Dumas).
Elle joue à Orléans, du 9 au 16 janvier 1849, puis à Tours. Réne Luguet l'accompagnait, alors qu'il était sous contrat avec la troupe parisienne du Palais Royal. Sa défection risquant de lui valoir sa place, Marie Dorval interrompt ses spectacles à Tours pour rentrer avec lui à Paris le 30janvier.
Elle écrit alors à Saveste qu'elle est "obligée de retourner à Tours, où je suis attendue pour jouer dimanche et lundi". c'est dans cette intervalle qu'elle apprend que sa demande est refusée par le Théâtre Français.
Réné Luguet ayant été effectivement renvoyé, il repart à Tours avec sa belle-mère, jusqu'au 12 février, avant de l'entraîner de ville en ville, Valenciennes, Cambrai, Dunkerque, Saint-Omer...
Marie Dorval continue à ne vivre que dans les souvenirs de son petit-fils et à errer de cimetière en église, ainsi, le 18 janvier 1849, elle se rend au
cimetière de la ville de Tours en l’occurrence, par où
passait cette dernière tournée, pour prier pour lui (Orléans, 16 janvier 1849, entendu la messe à la cathédrale note -t-elle également... )
. Elle crée à la crèche Saint-Ambroise un berceau au nom de Georges Luguet. Adèle Hugo évoque à cette occasion la générosité et la piété de Marie Dorval. Après une quinzaine de jours à Paris, Luguet lui trouve un engagement à Caen. Lorsqu'elle y arrive, après 18 heures de diligence et alors qu'elle doit jouer le soir-même, victime d'un malaise elle doit s'aliter. Elle tombe grièvement malade à Caen où elle ne peut monter sur scène
et s'éteint à son retour à Paris à l’âge de cinquante et un ans le 20
mai 1849.
Sa dernière lecture fut La petite fadette de son amie
George Sand qui continuera à s'occuper des autres petits enfants de
Marie Dorval après sa mort.
Alexandre
Dumas aide ses proches à réunir les fonds pour
la faire enterrer aux côtés de son petit-fils au cimetière du
Montparnasse et aide Luguet à retrouver des engagements au théâtre.Victor Hugo de son côté, organise une soirée, à laquelle Rachel participe, au bénéfice de ses petits-enfants .
une tombe discrète au cimetière montparnasse
Sa fille Louise mourra en 1851 de la tuberculose.
Alexandre Dumas écrivit quelques années plus tard "La dernière année de Marie Dorval" sous forme d'une lettre adressée à George Sand, et même si de nombreux faits sont romancés, elle fait partie de la légende autour de Marie Dorval
Extraits
[...]
Dorval avait trois filles.
L’une de ces trois filles, Caroline, épousa René Luguet, et eut un
fils ; il reçut au baptême votre nom, ma sœur ; il le reçut en mémoire
de vous, — on l’appela Georges.
Cet enfant était une merveille de beauté et d’intelligence, une de
ces fleurs pleines de couleur et de parfum qui s’ouvrent au dernier
souffle de la nuit et qui doivent être fauchées à l’aurore.
Vous avez dit les douleurs de Dorval vieillissant, vous avez montré
la femme à la robe noire ; elle eut une robe couleur du ciel, la pauvre
grand-mère, le jour où lui naquit cet enfant.
C’était, en effet, pour elle qu’il était né, et non pour son père et
sa mère ; elle le prit dans ses bras le jour de sa naissance, et le
garda en quelque sorte dans ses bras jusqu’au jour de sa mort.
[...]
Une heure après, la fièvre cérébrale se déclarait de la manière la
plus terrible, et après onze jours d’agonie, le 16 mai 1848, l’enfant
rendait le dernier soupir[...] C'était le commencement de l' agonie de Marie [...]
On
la trouvait sans cesse agenouillée sur ce canapé, près de ce
berceau, parlant à Georges comme s’il était là, ou bien encore lui
demandant où il était ; [...]Un jour, Dorval, sortie le matin, resta
dehors toute la journée. [...]À partir de ce moment, cette sortie se
renouvela tous les jours, et
comme tous les jours elle sortait et rentrait à la même heure, on
s’était, dans la maison épuisée de forces, arrangé de cette absence, qui
rendait à tout la monde un peu de calme.[...] Luguet résolut de savoir
où elle allait; il n’y avait pour cela qu’à la suivre. Elle avait acheté
un pliant. Elle l’avait fixé à la grille
qui entourait la tombe du petit Georges par une grosse chaîne et un
cadenas, et chaque matin, en hiver, pendant les mois les plus âpres de
l’année, elle allait s’installer sur ce pliant avec sa Bible et un
ouvrage de tapisserie.
[...]On ne pouvait la laisser mourir de douleur et de froid.
Luguet imagina un voyage, et partit avec elle pour aller donner des représentations à Orléans.
À peine étaient-ils descendus de voiture que Luguet s’aperçut de l’absence de Marie.
Il
n’était pas difficile de deviner où elle était. Luguet se fit indiquer
le cimetière, et y courut. Dorval avait cherché une tombe d’enfant, et
s’y était agenouillée Pendant tout le temps que dura le voyage, elle
allait ainsi, soit à
Orléans, soit dans toute autre ville, chaque matin, au cimetière, avec
une brassée de fleurs qu’elle achetait partout où elle en pouvait
trouver. Puis, arrivée au milieu des tombes, elle fermait les yeux, et
jetait les fleurs au hasard autour d’elle, en disant à demi-voix et avec
le double accent de la prière et de la plainte :
— Pour les petits enfants ! pour les petits enfants !
Marie Dorval
[...] On offrit à Dorval quelques représentations de Marie-Jeanne.Elle accepta. Il fallait bien vivre jusqu’au moment où l’on mourrait.
Elle joua Marie-Jeanne.
Je n’avais pas vu la pièce, je la vis alors.
Je n’oublierai jamais l’impression que me fit cette représentation.
Je ne juge point ici le drame, je ne sais pas ce qu’il est. A-t-il
été rejoué ? Je l’ignore, La pièce, c’était Dorval, c’est-à-dire, comme
elle me l’avait raconté elle-même, une mère qui a perdu son enfant.
L’accent avec lequel, arrivée devant le tour où son enfant
va disparaître, le tenant sur ses genoux comme la Madeleine de Canova
tenait la croix, elle disait :
— Adieu, mon petit ange, adieu, mon ange adoré, adieu, mon enfant
chéri, non pas adieu, au revoir ; va, car nous nous reverrons... oh !
oui, oui, nous nous reverrons !
Oh ! la salle tout entière éclatait en sanglots et en gémissements.
Je me précipitai dans la coulisse après l’acte, je la trouvai exténuée, mourante.
— Entends-tu, lui dis-je, entends-tu comme on t’applaudit ?
— Oui, j’entends, me dit-elle avec insouciance.
— Mais jamais je n’ai entendu le public applaudir une autre femme comme il t’applaudit.
—
Je crois bien, me dit-elle avec un indicible mouvement d’épaules, les
autres femmes lui donnent leur talent, moi, je lui donne ma vie.
C’était vrai, elle lui donnait sa vie.
Les représentations de Marie-Jeanne eurent leur terme. Dorval
disait qu’elle avait toujours espéré, tant que ces représentations
avaient duré, mourir un jour sur le théâtre au moment où elle se sépare
de son enfant.
Et ce vœu eût certainement été accompli si la pièce eût eu quelques représentations de plus.
Dorval se trouva sans engagement.
C’est à cette époque qu’il faut rattacher le terrible épisode du Théâtre-Français.
Quelques détails qui ne peuvent être consignés dans la lettre de Luguet trouvent leur place ici.
Dorval fit une demande au comité du Théâtre-Français. Elle demandait à être reçue comme pensionnaire à cinq cents francs par mois. Elle jouerait
tout, duègnes, utilités, accessoires, et de vive voix elle s’engageait à
ne pas grever longtemps le budget de la rue Richelieu.
Elle se sentait mourir.
Le comité se rassembla pour statuer sur la demande, et refusa à l’unanimité !
À l’unanimité, entendez-vous bien ; pas une voix ne répondit à cette
grande voix d’artiste se lamentant dans le désert de la douleur.
Pas une main ne s’étendit pour relever cette mère aux genoux brisés.
Pas une !
[...].
Tombe de Marie Dorval, cimetière du Montparnasse
Dans un journal de l'époque Vert-vert 1839
Janin, littérature dramatique
Je reviendrai ensuite avec quelques grands rôles de Marie Dorval (Kitty Bell...) mise à jour: